1.
Blonde commença par enfiler des perles, gemmes à ailerons multipliés marquées d’une empreinte plombée, certes, un refus du destin : « the quick brown fox jumps over lazy dogs ». Vouiii… vouiii ! C’est pour un contrôle des ovaires…, –1, bientôt –2. No more ovaires… hé… hé… hé ! Perle… un euphémisme… en réalité de la chaleur humaine pompée des entrailles, du brut, une viscosité/animosité sur mesure.
En public, elle s’exprime sur un mode intempestif, «… car il n’y a rien de plus vilain qu’un public. » Elle entend quotidiennement des : « qu’est-ce que tu peux être vulgaire… c’est invraisemblable ! » « Ah non ! Je ne suis pas vulgaire… obscène !  Ça, je crois vous pouvez comprendre… » Catégorique aussi, le refus de la position du missile à cent millions de pratiques. Sodomie, uniquement « doggy style ». Répètes un peu… pour voir ! « So d’ho my do ggu’ist yle. »

Concert de louanges, propulseur d’applause, machine broyeuse d’articulations mathématiquement impossible… Vente aux enchères d’effets personnels… (portrait dédicacé de Sandra Romain dans un cadre en plexiglas biseauté) plus des rushes collector montrant la belle augmenter la circonférence de son anus. Sharka Blue veille au grain, prodigue des conseils avec le pouce et l’index. Un mot gentil de Larry Flint : « Pour Sandra, bijou parmi les diamants… 20 cm de pur bonheur ! »
Elle se masturbe en direct sur une chaîne du câble. Les produits coulent en gros plans le long de ses cuisses. « C’est pour fêter le cinquantenaire du bikini… un jubilé inspiré par la barrière de corail… je tiens particulièrement à mouiller les espaces laissés vacants par l’abolition des tissus… j’aime le progrès… la bombe atomique… les mutilations complices… les traces d’ADN étrangères à l’intérieur de mes viscères… j’en pince pour les atolls… » Roman avec personnages interro-négatifs, label homologué, service après-vente, garantie pièces et main- d’œuvre. Elle fera tout son possible, quitte à prendre des positions pouvant heurter la sensibilité. Elle amorce un grand écart, mouille un orteil, lèche son pubis, preuves flagrantes d’une souplesse dans la ponctuation et d’un sens irréfutable du récit. A rajouter à son actif, le talent facial pour la mise en abyme.
Journal (1) : je suis une désespérée, tellement heureuse de l’être… même si j’ai l’air de traquer le nounours en peluche. Blonde reçoit son fan-club venu compact assister à sa lecture-performance. Le carton d’invitation précise avec un soupçon de véhémence : « …dedans l’intox nosocomiale, revolver à six coups… bang… bang… greetings from Las Vegas, vue sur la stratospheric tower, (carte postale vintage, palmierschampignonflamingo.) » Le libellé déroute la galerie habituée à des titres comprenant quatre mots maximum. Elle démarre, laisse apparaître son sein gauche, selon une tradition cannoise apprise par cœur. Elle officie entre deux palmiers nains, un seau à champagne et des repas-minceur dont la poudre répandue craque sous ses hauts talons. Elle suce par intermittence les mamelons de sa poitrine en prenant soin de bien les humecter afin qu’ils brillent face à un public conquis d’avance, n’étant pas au bout des surprises, ni aux extrémités de ses aréoles.
Lecture : elle caresse un dictaphone… champagne ! Décor avec pom-pom girls, anthologie de phénomènes météorologiques extrêmes, éléctro-ménager, bigoudis métaphore de chaise électrique, encyclopédies soldées. Le vidéojockey baigne dans un fluide édulcoré prévu pour résoudre des questions arachnéennes de peinture au sol.
« Prenez un livre de 526 pages. Si vous en avez lu 53, vous avez terminé un dixième du livre. Si vous en êtes à la pages 132, vous avez lu un quart du livre, si c’est déjà la page 176, vous êtes parvenu au tiers. Inévitablement la moitié se situe page 263. Vous vérifiez optiquement la quantité de pages répartie dans les deux camps, compressez le papier de façon à faire coïncider les deux masses. Une inégalité minime serait considérée comme un affront. Dès la page 264 vous vous situez sur la phase déclinante de la lecture. D’incessants contrôles s’imposent pour vous persuader que vous avez effectivement franchi la barre médiane. Des soupirs de soulagement vous récompensent pour votre persévérance, vous encourage à terminer le job harassant et fastidieux de lecteur. La page 270 éloigne définitivement le spectre de la rechute dans une portion déjà intégrée à votre bibliothèque. Si une moitié du livre se situe mentalement sur une étagère, l’autre est à abattre. Cinquante fois vous avez voulu détruire le livre, cinquante fois vous vous êtes juré d’échapper à la misérable prison, à la violence des caractères imprimés petits, occasionnant une gêne indicible.
Page 316 : vous atteignez 3/5 de l’œuvre. C’est moche d’être l’otage de calculs… l’ennemi ne signifie pas encore l’adversité. Vous vous haïssez, vous haïssez les autres, mais vous avez appris que la haine n’est pas bonne à tout faire. De surcroît, vous lutter contre certains préjugés : la lecture n’est pas un acte anti-social ni un comportement contre-productif. A la page 352 vous avez achevé 2/3 du livre et vous venez de lui casser le dos le plus naturellement du monde. Le dégoût dépasse l’entendement, l’image que vous tenez de vous-même n’a jamais été aussi détestable. Contrairement à la recherche du temps perdu écrite dans la perspective de retrouvailles avec la substance incriminée, vous êtes un looser sans parachute, une loque à livre de poche sous les yeux.
Page 407 : vous parvenez aux trois quarts de l’ouvrage. Vous retrouvez un certain goût à la vie, une fierté dans la nuque. Les choix catastrophiques faits tout au long de votre existence se révèlent peut-être des opportunités, des chances en sommeil sous quelques écrans de fumées ou piles de frustrations. Dès la page 473 vous comprenez qu’il ne reste plus qu’un petit dixième du volume. Ce n’est pas le moment de vous croire supérieur à la fatalité, plus intelligent d’un milligramme, d’autant que vous venez d’entendre dans la rue un piéton se faire couper en deux par un 4×4 (2x4x4 = 32 morceaux).
Votre lâcheté est sans bornes, vous continuez votre sale besogne. Vous voulez produire la fin comme une série télé se traîne dans son vomi narratif. Le spectre de la contrefaçon pourrait vous déstabiliser. Restent 20 pages, c’est long, affreusement long. Vous estimez les pertes, les lignes lues de travers, les pages tournées trop tôt, sans compter les morceaux d’intrigues mal emmanchées, la trahison des grosses ficelles, les flous d’une synthèse dont vous commencez l’ébauche. Qu’en restera-t-il ?
L’épaisseur des pages achevées entrave légèrement la stabilité des pages restantes, vous les pincez contre la couverture. Encore 10 pages, 1/52 du livre, bientôt 1/100. Vous réprimez la manie de vouloir accélérer le processus, emballer la mécanique. Le moment est mal choisi pour bâcler le travail, au contraire, vous ralentissez, désirez jouir du crépuscule d’une lecture qui pourrait s’évanouir dans un rayon vert. Soudain le temps perdu remonte à la surface faire des pieds-de-nez à votre soumission. C’en est trop, vous terminez la dernière page, refermez la plaie. »