V.

Justement, ce n’est pas qu‘une peinture ou un écran, il s’agit avant tout d‘une performance. Elle est faite d‘une douzaine d‘actions cosmétiques, sans ordre précis. Elle s‘exécute en maillots de bains polyacryl devant un sandwich de miroirs légèrement désaxés. Le face à face de l‘image se propage à l’infini.
En principe elle ne se destine pas à mettre un terme à la vie quand on s‘y attends le plus, au moment où les reflets indiquent qu‘on s‘y attends le moins.
Le basculement de l’espérance de vie en espérance de mort intervient de préférence hors champs, là où les sources de lumières se contredisent, quand la répression culmine, et partout où l’image entre en possession de la zone incriminée.
A l‘extérieur l’espace compris entre la vie et la mort est intérieur, il se retourne comme un gant. L’ensemble des signes manifestes de l‘existence ne fait que renforcer la propriété réversible; par hasard: des bruits de craquements de miroirs, des sons de bubble-gum, fermeture Eclair, salive qu’on échange.
L’espérance de mort peut assurément renvoyer le scintillement du sens dans les extensions du contenu, autrement dit répéter l’opération indéfiniment, all around.

1.« On dirait que les miroirs ont des nerfs optiques, je crois qu‘ils m‘observe…!»
Déjà dans le vif du sujet Cosmas psalmodie, un bavarois de fausses menaces. Guirlandes et balles dom-dom sous une couette glacée aux mûres… Blonde évasive chantonne, tessiture avec copeaux argentés, quoi de plus solennel.
Silk, de la buée au coin des lèvres, son regard émail, lancé dans Cosmas: «Happy birthday my dear… Puisqu‘on te dit que c’est ton anniversaire…!»
Elle découpe un gâteau daté signé, pur sabayon masspain et mousse avec ses amours en embuscade :
« Voyons ! Fallait pas… les filles! »
Dedans au fond il y a une lame en crème pour trancher la cerise de glace… un nouveau gun sucré… emblême rose et poignard, ses initiales…
« Tu comprends, aujourd’hui… C’est n’est que ton anniversaire…! Et rien ne vaut une déclaration d’amour… mise à nu par ses célibataires même… remontant l’escalier !…»

2. Dans une sorte de coming out inversé (sliping in) les bougies s’éteignent spontanément à l’approche du liquide lacrymal. Elles pourraient s’offrire une forme rare de schizophrénie, ou un trope de connivence avec certaines folies meurtrières. En tout cas pour l’une d’entre elles, les deux autres c’est moins sûr. Elles répondent par un aperçu:
« Mais que dirait-on d’un visage illuminé, une moitié masculine déguisée en femme métamorphosée en homme jouant à la femme, l’autre mimant une ombre de transsexualité absolument neutre, se refusant à toutes permutations exceptées celles par défauts, le miroir par définition les inversant ? »

3. « C’est à désespérer des raids de lumières. Le maléfice des empires du jeu, les sorts jetés aux bunkers se morfondent, des verrues étincelantes qui font toujours aussi mal aux yeux au bout des avenues.
La natation en piscines patatoïdes nous laisse peu de souvenirs… les missiles humains en rase-mottes que des ricanements, c’est peut-être digne de nos pires chevelures. Nous prendrait-on pour des demeurées ? Faudra rester polies… se contenter de formules lapidaires… mais quand même les abattre tous, un job de folles salissantes. Sitôt classé au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais non ! Je plaisante… À mettre dans le beauty-case…»

4. Blonde brandit le dictaphone, elle questionne ses assistantes:
– Entrées nues dans la mort… En ressortir habillées ?
– Mais on ne verra rien !
– Vous voulez dire… qu’on ne verra pas le noir ?

5. On entend une miscellanée, presque qu’une symphonie, peut-être Brahms, la voix de Nick Cave, un discours resté dans toutes les mémoires achevé par : « Ich bin ein Berliner… ».
Blonde prépare les atribus d’un triangle sonore. Les trois femmes de dos, une radio accrochée entre les omoplates, devisant sur la lenteur du cérémonial, un vrai temps de chien pour Nina Hagen et son schlager.
Les bouches sont grandes ouvertes, les yeux fixés au plafond, leurs corps conducteurs résonnent, vibrent, amplifient. Cosmas est secouée d’un rire. Elle croit entendre la plainte anamnésique des enfants suicidés de Joseph Göbbels. Silk ne pense plus qu’aux décharges du massage musical :
« Plus fort ! Merde … ! Je l’entends enfin…  mon requiem.. »

6. Les miroirs détiennent une sorte de droit de vote, scrutent les formations politiques, cautionnent l’image même de l’éligibilité. Ne reste plus qu’à se présenter, tête de liste, sous la bannière étoilée du rallongement de « l’espérence de mort » devant un éléctorat de petits merdeux.

7. Elles prennent soin des finitions de leurs visages, les encerclent dans un échange d’autoportraits, des spéculations sur des parties qu’elles feignent d’esquiver.
Cosmas tient bon sur les toilettes, à deux doigts des miroirs, d’une main elle assassine un moustique, de l’autre dessine avec son urine : « un vampire très heureux de se voir en peinture ! »
« Et si tu n’étais pas une odeur de station-service ? Pas un outil spécialement prévu pour une décapitation sur la plage ? Pas un ange du tout, même pas doseur de cyanure ? Si tu n’étais pas juste une belle au bois dormant ? Et encore… pas l’ombre d’une réponse… ! »

8. A ce propos, dans leur dernière négociation contractuelle, elles ont exigés de pouvoir donner des réponses incomplettes à des questions tronquées. Les résidus devraient normalement faire l’objet d’une reconstitution disponible à tout moment pour relancer le dialogue. Mais pour l’interview final c’est le reste des questions amputées qui doit servir. Quand aux nouvelles réponses, elles seront formulées à partir de la totalité des lacunes réunies séparement.

9. Blonde plonge dans la géographie des crimes. « Que sait-t’on des lieux, des trous de mémoires ? Qu’à t’on retenu, sur quoi vraiment enquêté ? Sans même parler des lieux de préméditation. Ne sont-ils pas la liqueur de nos exils dorés, encore solaires de réactivité criminelle ? »
« Objection votre Honneur ! » Cosmas interpelle sa belle partenaire : « Déjà, c’est beaucoup plus difficile à situer si c’est au pluriel, une telle dissémination peut nous ramener vers la haine des plages…
Mais pour un surplus d’indices, je suggère de refaire un détour par la beauté formelle de toutes mes pensées voisines de mon orifice anal. Elles sont tenues à l’évémentiel, accomodées à toutes les sauces, elles ont toujours eu tendance à vouloir changer le cours de l’histoire et refaire le monde.
J’ai cette intime conviction depuis que je suis une petite fille… avec déjà du sang sur les mains. »

10. Nom, prénom, addition de particule. L’histoire de l’Espérance De Mort commence à Versailles, c/o Louis XIV, précisement « galerie des glaces », même adresse mais plus aiguisée sous la Terreur.
Près d’un œil, « l’assassine », sa mouche favorite dissimule un outrage vénérien, ensuite elle accélère, République et Empire. C’est la morve aux lévres qu’elle fauche les dernières catins vues au mirodrome avant l’extinction de la race.

11. Elles se plaisent beaucoup en petites tenues, s’admirent, Blonde veille aux apparences réglementaires. Elles les déplace de quelques centimètres, par la nuque, recapturent l’angle des regards.
« Ce qui nous attends n’est peut-être qu’une tragédie de salle de bain… mais chacune d’entre nous va commettre l’irréparable, sur commande, à mon signal. Pas de derniers sacrements, j’en suis certaine, personne ne viendra. »
Silk, empoisonnée par Cosmas n’aura pas le temps d’attenter aux jours de Blonde, laquelle ne se suicidera qu’après avoir mal strangulé Cosmas sur une mer déchaînée.

12. C’est encore un détour par les pôles, une carte de vœux sans ambiguités, une séance de maquillage entachée d’irrégularités.
Les nids d’espions en activité ont soulignés le témoignage accablant d’autostoppeuses. Toutes ces lèvres en chiens de faïence.
Le tout-à-l’égout des miroirs, mourir jeune d’être née opaque.